Georges SAND

La séduction d’Enval

Il y a un petit coin aux environs de Riom où je me plaisais singulièrement jadis. C’est un hameau nommé Enval. Il est situé dans une impasse volcanique qu’on appelle, là , comme dans beaucoup de localités analogues : le bout du monde ! Autrefois ce hameau était une merveille pour les artistes. Toutes les maisons construites en lave noire étaient ornées de plusieurs étages de balcons sans parapet et sans symétrie aucune, soutenus ainsi que le toit par des arbres tout entiers à peine équarris et dépassant la construction de leurs branches sorties de la maçonnerie. Les escaliers tous extérieurs, formés de dalles brutes de cette légère téphrine de Volvic poreuse comme une éponge et plus résistante que le granit. Cet étrange village avait une physionomie que je n’ai jamais retrouvée ailleurs. On eût dit qu’il avait été construit pour des singes. Mais dans l’adresse et la prévoyance de l’aménagement on retrouvait l’esprit auvergnat : économie de l’espace et habile à conjurer l’inclémence de son climat.
Enval, planté au fond d’une gorge sans issue, est abrité par le rocher et comme défendu par de gros blocs informes, de tours qui surplombent le long de la montagne le vallon traversé par les ramifications d’un charmant ruisseau qui bouillonne parmi les roches brutes, les buissons et les fleurs. En remontant  pendant dix minutes cette eau courante et murmurante on arrive à l’impasse où il cache sa source dans un chaos délicieux de désordre et de végétations. Oasis où l’on aimerait vivre pendant l’été, mais l’hiver y est rude et le ruisseau devient un torrent. C’est pour cela que les premiers habitants avaient élevé leur maison pour préserver leurs personnes et leurs récoltes de l’humidité. Je ne veux pas oublier la source minérale d’Enval, propriété d’une vieille femme qui l’a enfermée dans une cahute et qui la vend aux amateurs, eau acidulée, délicieuse au goût et dont les habitants de Riom font usage comme de l’eau de seltz. Ceux d’Enval la prisent à l’égal du vin et moi je la préférerais beaucoup, bien que le vin des coteaux voisins soit très bon.

George Sand